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Un voyage au Japon - le mystère au coin de la rue

Revenir du Japon.


Laisser de côté les affres du voyageur, l'éclat de l’œil devant les fastes de la technologie nippone, des métros suspendus, des buildings mécano-tokyoïtes.


Ressentir la puissance de l'autorité sur les corps, sur les paroles, les castes intériorisées par le moindre japonais qui sait s'il doit trinquer vers le haut ou vers le bas du verre de son interlocuteur. Au Japon, on ne plaisante pas avec les êtres supérieurs à soi.


Et puis, on regarde avec soin cette douceur dans la relation, qu'on imagine issue d'une névrose collective qui autorise l'employé japonais à frapper avec un bâton la statuette représentant le PDG de la boîte. Mais si celui-ci apparaît au coin du couloir, on ne manquera pas de le saluer.


C'est un peuple accueillant. Un japonais qui n'aime pas l'étranger, simplement, il lui suffit de ne pas lui adresser la parole. Il lui lancera simplement un regard vertical et furtif où vous sentirez expressément le poids de votre infériorité.


Douceur donc. Et humilité devant le mystère de la nature. Les japonais auront réussi ce tour de force qui consiste à faire vivre ensemble la plus organisée des sociétés tournée vers la consommation avec un cocktail vaporeux de shintoïsme, bouddhisme, chrétienté, zen. Mélange religieux éreinté de plusieurs siècles, ici lavé de toutes soupçons de bigoterie.


Certes, les japonais vont au temple, joindre leurs deux mains devant le gong et le coffre à offrandes, et ainsi s'incliner selon une danse du buste et de la parole que l'on imagine transmis de génération en génération. Mais n'est-ce pas davantage pour officialiser leur appartenance au groupe plutôt que l'expression d'une croyance réelle ? Un moment partagé collectivement dans l'intimité de chaque individu où l'on se lave du pêché d'être trop ceci, ou trop cela ... Et surtout pas assez japonais ! La fermeture des « petits temples » montrent le désintéressement des jeunes pour ces pratiques religieuses.


Les jeunes japonais sont pourtant fiers de leurs pays et de ses traditions. Comme ces deux jeunes hommes, largement underground, rencontrés un soir dans un échoppe à Tokyo vers le parc Ueno. Une longue remise en question du poids des normes sociales au Japon pour finalement aboutir à une déclaration d'amour du peuple japonais. Le poids des convenances versus l'amour de la norme intériorisée.


Les japonais semblent aimer ces rituels quasi-magiques au temple. Ne s'agit-il pas davantage de perpétuer un rapport au mystère que l'on sent bien présent partout dans les attitudes ? Notamment, dans le respect de l'étranger dont on ne voudrait pas qu'il nous jette un sort si le mauvais accueil qu'on lui aurait réservé viendrait à déclencher les foudres de cet ectoplasme blanc. Comme chez les grecs anciens, les dieux semblent partout. Cependant, le nombre annule leurs existences.


Au Japon, plus à Kyoto que Tokyo -sauf dans le quartier de Yanaka-, le mystère réside au coin de chaque rue. Faire l'expérience de se promener la nuit dans les rues de Kyoto, éclairé exclusivement des seuls lampadaires au fronton des échoppes et des restaurants, nous plonge dans un monde poétique, accessible et réel. La calme absolu y aide le promeneur à laisser en confiance son imaginaire.


De retour dans l'Hexagone, on chercher un peu désespérément cette relation simple à un « je ne sais quoi » de poétique entre les murs. Je l'ai trouvé un peu dans le retour du printemps sur les façades du vieux Lyon. Dans les rues encore quasi-vides des pentes de la Croix Rousse tôt le matin. Or, dès que la présence d'un autre m'apparaît, je perçois la disparition de ce charme que l'on trouve pourtant dans d'autres villes européennes. Je pense à Lisbonne notamment, mais que médire à propos d'un peuple qui a inventé le fado ? Le Portugal et le Japon étant liés dans leurs histoires par la menace d'une nature vengeresse.


Une évidence apparaît : pour rêver dans un espace partagé, pour réinventer des chimères même dans le caniveau, le projet doit être collectif. En France, il y a trop de rationalité larvé à la sauce libérale-efficace. En France, le rêve n'est pas partagé dans l'espace public. Il est réservé pour le face-à-face avec l'instantanéité des écrans. Une cérémonie du thé vous rappelle que l'efficacité ne va pas de mise avec l'appropriation de ce mystère qui guette même dans une tasse. Une légère appréhension à la première gorgée. Vais-je boire de la mousse ?


La présence du spirituel au coin de la rue japonaise, j'en trouve l'exergue dans ce centre commercial à Kyoto où l'attraction réside en la présence de deux temples au milieu des allées des échoppes. Les acheteurs s'y pressent nombreux pour effectuer quelques rituels shinto. Un automate en bois inspiré du théâtre buto s'anime mécaniquement pour donner la bonne aventure après l'introduction d'une pièce.


Peut-être que tout le mystère est là. L'aura d'un Japon poétique vient d'une illusion que les japonais entretiennent envers eux-même. C'est certainement le socle fragile de leur nationalisme fier et profond. La figure de l'Empereur y assure l'intérim entre rationalité économique, mysticisme bâtard et justification de la soumission au destin social.



Brume et pluie,

Fuji caché, mais je vais

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Bashô

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